Entretien avec un champion de coffee tasting devenu torréfacteur !
Rencontre entre Florian de FORTS DE CAFE, et Dajo de CAFÉS MUDA
Des championnats du monde de dégustation de café, qu’est ce que c’est que cette histoire ? Et pourquoi pas un championnat de jonglage avec des grains ? On a voulu en savoir plus avec Dajo qui nous raconte son expérience et ce qui se cache derrière ces compétitions et répond à plein d’autres questions sur le café et son aventure !
Florian - Forts de Café : Salut Dajo, première question, explique-nous, comment on devient "vice champion du monde de dégustation de café" ? Comment se passe une compétition ? Comment s’entraîne t-on ?
Dajo - CAFÉS MUDA : C’est en rentrant de mon séjour au Brésil en 2017 que mon ex patron chez Coffee Makers, Mat, m’a demandé de le rejoindre pour ses entraînements de Cup Tasters. Il venait de décrocher la deuxième place au championnat de France et voulait y retourner pour gagner en 2018. J’ai trouvé ça fun et comme j’aime bien les compétitions (j’ai fait du sport à haut niveau presque toute ma vie) j’ai accepté l’invitation. Quelques mois plus tard, je me retrouve à gagner le championnat de France - moi aussi surpris que tout le monde ! A partir de ce moment j’ai pris les entraînements au sérieux et grâce à beaucoup de personnes qui m’ont aidé tout au long du chemin j’ai renouvelé mon titre en 2019 et décroché la deuxième place à Berlin. J’ai surtout appris à m’entraîner dans les mêmes conditions que l’épreuve (par exemple en utilisant du café filtre et non du cupping) et à chercher mes points faibles et travailler dessus (la vitesse et la préparation mentale notamment). Pendant la compétition on reçoit 8 triangles. Chaque triangle consiste en 3 tasses de café dont 2 sont identiques et 1 est différente. Il faut simplement trouver l’intrus et l’éliminer. La personne avec le plus de réponses correctes en un minimum de temps gagne (on a 8 min max). La différence peut être très flagrante ou très subtile.
Florian - Forts de Café : Que retires-tu de ton expérience dans les fermes de café ? Est-ce que cela a changé ton regard sur le café ?
Dajo - CAFÉS MUDA : Énormément de choses. C’est une expérience qui m’a fait voir le café d’une manière complètement différente. Elle m’a aussi fait décider de continuer à travailler dans le monde du café pour de vrai, là où avant je voyais ça plus comme une étape temporaire. Si je peux retirer 2 choses ce serait tout d’abord que j’ai réalisé que le côté humain et environnemental derrière un café sont aussi importants que la qualité de la tasse pour moi. La deuxième chose serait que j’avais aucune idée du travail supplémentaire que ça demande pour produire des cafés de spécialité. Pour nous ça semble tellement logique de commencer à faire une cueillette sélective et installer des lits africains mais en réalité c’est une vrai révolution.
Quand Deneval a commencé à faire des tests en 2010, tous ses voisins l’ont déclaré fou. Le coût de production est facilement 3, 4, 5 fois plus cher. Entre une cueillette sélective et une cueillette traditionnelle en "stripping" (où les machines récoltent toutes les cerises), c’est fou la différence de quantité de récolte en une journée. Puis il y a le séchage, le tri, la séparation des lots... et surtout : il faut trouver un acheteur qui est prêt à payer le juste prix pour compenser tout le travail supplémentaire. On trouve facilement des acheteurs locaux qui veulent payer 20% plus cher par rapport au prix de la bourse mais ce n’est pas assez.
Pour les lots de la box par exemple, j’ai payé 3,5 fois le prix du marché. C’est le coût de production qui pour moi devrait être le point de départ et non le prix boursier.
Il a fallu beaucoup de courage et persévérance pour Deneval et sa famille pour aller contre les méthodes traditionnelles. Mais quand on réussit ça peut vraiment changer des vies !
Et pour moi aussi, cette expérience a changé ma vie sans aucun doute. J’aimerais tellement que tous les baristas et torréfacteurs ici puissent passer quelques mois sur une ferme pour voir la réalité derrière la production d’un café de spécialité. Tu penseras deux fois à purger.
Florian - Forts de Café : Qu’est ce qui t’a poussé à ouvrir ta propre torréfaction ?
Dajo - CAFÉS MUDA : Clairement le covid ! C’est un projet qui traîne dans ma tête depuis 2016 mais je n’avais jamais osé me lancer. La crise sanitaire a fait tomber à l’eau mes plans initiaux et m’a laissé pas de choix que de me lancer enfin ici à Lille. J’aime beaucoup la ville et il y a encore beaucoup de choses à faire ici niveau café donc tout ça m’a poussé à créer MUDA. C’est une sacré aventure et je suis très content d’avoir franchi le cap !
Florian - Forts de Café : Selon toi, comment augmenter la popularité du café de spécialité en France ? Pourquoi de tels écarts avec d’autres pays comme l’Australie?
Dajo - CAFES MUDA : Je pense qu’il faut qu’on diminue la barrière en termes de goût et de vocabulaire avec le grand public. Avoir un point de départ qui ne choque pas trop, qui est un premier pas vers des cafés plus pointus. Mon café d’entrée de gamme par exemple est un Brésil avec un profil «classique» chocolaté, un peu plus torréfié. Les gens qui découvrent le café de spécialité l’adorent. Ils sentent que c’est différent mais ça reste dans leur zone de confort. Je pense que c’est important comme professionnel de café de valoriser ce type de cafés et de ne pas rester dans son coin de «geek» à vouloir servir que des cafés acides et fruités. Il ne faut pas oublier que la cuisine traditionnelle française a un profil aromatique très «rond». Bien sûr qu’il y a des changements en cours (par exemple les IPA qui se sont démocratisés) mais tout ça prend du temps en France. Je pense qu’il faut qu’on reste patient mais que les choses commencent à bouger petit à petit. Le gros avantage qu’on a en France c’est que les gens valorisent de bons produits et sont prêts à dépenser de l’argent une fois qu’ils sont convaincus que ça vaut le coup. L’avantage qu’on a aussi par rapport aux Australiens c’est que les gens boivent plus de café noir ici. Oui, les coffee shops font des volumes de dingue là-bas, mais c’est majoritairement du café au lait. Ensuite il ne faut pas non plus oublier que la qualité de vie est plus élevée en Australie ce qui fait que les gens peuvent facilement se payer 2 cafés à emporter par jour.
Florian - Forts de Café : Comment as tu découvert et choisi la torréfaction de tes cafés du mois ? As-tu fait beaucoup de tests ou bien tu savais tout de suite quel profil aromatique tu voulais sortir ?
Dajo - CAFÉS MUDA : C’est la 5ème saison que je torréfie les cafés de Deneval mais la première fois sur le Diedrich IR-12. J’ai d’abord fait quelques tests de torréfaction sur l’Ikawa pour voir comment ils réagissent et quel profil aromatique ils donnent, pour ensuite lancer la production. Le but pour le process nature était de mettre en avant la complexité aromatique.Pour le honey j’ai essayé de plutôt mettre en avant la sucrosité du café.
Merci Dajo !